EDITORIAL N°6 - OCTOBRE 2016
LES AVATARS DE L’ART FANTASTIQUE CONTEMPORAIN
Chaque époque contient son propre paradoxe. Au 3° Millénaire la science-fiction devient progressivement réalité, et l’homme accélère son destin démiurgique.
L’art en est à sa énième mutation avec le numérique, mais par contre sa face fantastique ne progresse plus, se maintient au mieux, alors que l’on aurait pu s’attendre à une explosion.
Avènement © François SCHLESSER
Est-ce à dire qu’après les heures de gloire des Surréalistes, Dali et Max Ernst, etc. ce mode d’expression s’étiolerait ? Sur la forme, non, mais quant à son enjeu symbolique, cela stagne, dirait-on.
L’image triomphe désormais partout sans hiérarchie de valeurs, mais l’artiste de l’imaginaire fuirait-il l’angoisse de la toile blanche ? L’inconscient individuel et collectif ne ferait-il plus recette ?
L’affiche du Salon CHIMERIA 2016 à Sedan rétorque « L’inconscient, vecteur de la création artistique », en rendant hommage à Carl JUNG. Oui, il y a toujours une poignée d’irréductibles artistes dignes de ce nom, et les étrangers, porteurs de leur culture, nous interpellent particulièrement. Féeric, les Lieux magiques en a fait le choix avec Tudor BANUS.
Mais face à la formidable mutation en cours sur tous les plans, nous pourrions accueillir un autre résultat quantitatif et qualitatif. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que ce marché ne soit guère florissant en ce moment.
Cet arrêt sur images de l’âme du monde nous renvoie à nous-mêmes. Nous pressentons vers quoi nous allons, mais les artistes-médiums de l’indicible nous renseignent guère. Pas de révolution. Où est l’art visionnaire des principes au présent, du monde des Idées, et de notre devenir ?
L’expression ne désemplit pas dans la forme, certes, mais sans refléter une intention puissante sous-jacente. Comme avec la croûte terrestre, où est le magma souterrain de l’Inconscient ? Les palettes des peintres puisent-elles encore dans la cheminée des volcans en éruption intérieure ? Sauf chez les degrés d’âmes de quelques exceptions, bien après les maîtres reconnus du passé.
Bien sûr, il est toujours question en filigrane du moi et du Soi, d’animus et d’anima, d’ombre et de lumière, etc. dans toute cette production dite fantastique, mais le résultat laisse souvent perplexe.
D’autres pensent que c’est un passage en creux, une question de génération. Les périodes de création laissent la place à celles dévolues au premier degré, au ressenti, à la sensation. La prise de tête, c’est d’une autre époque ; l’essentiel est de consommer. Sauf qu’à force d’agréger sans hiérarchie, cela se désagrège un jour. Le mouvement de la vie, me direz-vous.
Mais, le bouleversement climatique, la mécanique quantique, la conquête d’une nouvelle planète, la magie du cosmos, etc., ce sont des vrais sujets, traités avec passion à la télévision, dans la littérature, au cinéma, etc. On ne peut plus dire que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Aujourd’hui, les religions sont dépassées.
Nous n’avons pas de réponse sur cette histoire. A part que le système occidental massifie, et rétrécit les existences, les esprits, les ambitions, etc. Le narcissisme, le selfiesme, etc. remplacent l’introspection. La prière ? connais plus. Après Dieu et l’homme placés successivement au centre de l’univers, les robots annoncés prendront-ils un jour ce rang ?
Par contre, incarnation oblige, nous sommes toujours aux prises avec notre ombre. Une majorité croissante préfère sous-traiter ce dilemme individuel à différents systèmes de pensée et à l’industrie du médicament. La psychologie et autres thérapies sur soi ne sont pas encouragées.
Seules les croyances de tous ordres continuent de proliférer, notamment les intégrismes. Suivez mon regard. Jean-Claude CARRIERE, qui fut un temps scénariste du grand Luis BUNUEL, en a dénombré 40000 dans son livre Croyance : réflexion sur cette « certitude sans preuve. » - Odile Jacob, 2015.
Si la mort de Dieu est annoncée depuis Nietzsche, Homo Numéricus est en route avec les maîtres US du Big Data, forts de leurs supercalculateurs à la conquête de notre intériorité afin d’en finir avec sa dualité instinctive, en modifiant à terme l’ADN, en imposant l’intelligence artificielle, etc.
Vu du côté du Café du Commerce, cela laisse plutôt indifférent, et tant mieux. Quand d’autres se moqueront à évoquer toutes les civilisations disparues, et Babel, sur une Terre vieille de plus de 4,5 milliards d’années.
(Carte Google Earth © NASA - montée des eaux, hypothèse + 8 m)
Alors, quand un artiste de l’imaginaire prend enfin le chemin vers lui-même, en prenant le risque de dévoiler l’intime, au creux de son intimité, cela mérite attention.
Notre ami peintre Dominique DESORGES, élève du grand Gérard DI MACCIO, a présenté en 2015 une blessure de famille, le sacrifice de son grand-père, par son oeuvre « Hommage à Vincent LE GOFF - Résistant et Martyr du 16 août 1944 à Eyliac (24).»
Nous saluons cette initiative dans le paysage artistique évoqué, et nous reviendrons sur tout ceci en 2017 en publiant une interview détaillée avec lui.
Terminons par la Féerie, où nous avons cette année participé à ATREBATIA (62 - Arras), aux Médiévales de Provins (77), et au Festival des Légendes des Vieilles Forges (08).
Notre diagnostic est à peu près le même pour cette branche de l’art fantastique. Les Contes et Légendes sont une richesse patrimoniale respectée et plus ou moins mise en valeur. Leur mise en scène talentueuse fait toujours rêver. Mais tous les intervenants de ce secteur sont-ils si sûrs que tout leur Petit Peuple n’a pas autre chose à nous dire aujourd’hui que les rabâchages du passé, dont nous avons souvent perdu la clé ?
L’âme du monde ne parlerait-elle plus, ou alors ne serait-elle pas audible ?
Faudra-t-il un jour la confier aux ordinateurs ?
Pourtant la chanson de Cécile COBEL le dit : « Entendez-vous ? »
Galvanisée par les célèbres superproductions anglo-saxonnes du secteur, la Féerie à la française et francophone a plus que le mérite d’exister. Mais elle a toujours un chemin qualitatif de création à parcourir pour faire entendre sa voix. Exception culturelle, et spirituelle, obligent.
En attendant, je salue mes amis qui vont témoigner à CHIMERIA (22/10/16 - 6/11/16) :
- Marlis LADUREE, Michel BASSOT, Dominique DEGORGES, François SCHLESSER, Hervé GOURDET…
Photo : D. DESORGES et © Shoji TANAKA
- Shoji TANAKA, Nobuki OMORI, Hector TORO…
Bonne rentrée à tous.
© Eric LE NOUVEL