ENTRETIEN AVEC ANDRE MARTINS DE BARROS, "PEINTRE DE LA FACE" A PARIS-MONTMARTRE
par Eric LE NOUVEL le 4 Novembre 2015.
"A Montmartre, tu es un pion que l'Esprit déplace sur son Damier..."
Mon cher André, bonjour
2004-2015 : la boucle du temps se referme pour accoucher enfin de cette interview, au lieu-culte du Studio 28.
Né en 1942 à Pau, tu es monté plus haut qu’à Paris, jusqu’au village de Montmartre, où tu t’es installé en 1962.
1) A toi de nous retracer ton beau parcours atypique depuis plus de 50 ans…
Ce n’est pas dur. Je suis monté à Montmartre exactement en 1962, de suite après l’armée. Je faisais mon service à Paris. J’avais 20 ans, et je suis devenu peintre autodidacte, après une formation d’architecte d’intérieur, mais ce métier ne me convenait pas. Je préférais jouer à l’artiste à l’époque. Et Montmartre a été mon point de chute.
J’ai commencé par les portraits, et après j’ai monté une galerie au 102 rue Lepic depuis le début des années 1980. Mon style, depuis l’enfance, a toujours été le même. Je suis entré dans le mouvement surréaliste à la fin de ce mouvement. Je n’en ai pas cueilli les fruits, ils étaient déjà mangés par d’autres. Je n’ai pas connu DALI, il venait très peu là.
J’ai choisi de persévérer dans mon style car difficile à faire, donc à copier. Dans la peinture classique, comme dans l’architecture intérieure, quand cela marche, tu as plein de copieurs. Actuellement, il y a beaucoup de copiés-collés dans l’art, même s’ils sont rattrapés immédiatement.
2) Ton oeuvre picturale
Elle accompagne ton chemin de vie 6 / 24 marqué entre autres par la recherche de l’harmonie entre le monde d’en-haut et le monde d’en-bas, par le sacrifice au sens large du terme, envers autrui et le Sacré.
Ta Paracha (section de la Torah) est Vayetse, soit l’Echelle de Jacob, la connexion Lune-Soleil de la Présence, l’exil et la rédemption, la transmission…tout un programme.
Que disent tes tableaux ?
Un foisonnement de symboles, le désir de la Connaissance, la vision allégorique, le palimpseste de la kabbale marrane, l’humour grinçant, le sens du mystère, la quête chevaleresque d’un Graal, les noces alchimiques de l’esprit et de la chair (qui l’emportera ?), la tension Eros-Thanatos, sans oublier la tendresse, l’humour, la satire, etc.
Je laisse à tes amis les critiques d’art, en particulier Evelyne ROSTAN qui a signé ta monographie en 1985, les références à BOSCH et bien sûr à ARCIMBOLDO pour qualifier tes glacis et clairs-obscurs. Chacun son métier.
D’ailleurs quel est le tien ? Ne devient-on pas artiste pour se mettre en scène dans son propre théâtre ?
NB : merci à Evelyne ROSTAN pour sa référence à Rainer Maria RILKE en exergue :
« Pour aborder les oeuvres d’art, rien n’est pire que la critique. L’amour seul peut les saisir, les garder, être juste envers elles (...)
Qu’elle soit de la chair ou de l’esprit, la fécondité est une : car l’oeuvre de l’esprit procède de l’oeuvre de chair et partage sa nature. Elle n’est que la reproduction en quelque sorte plus mystérieuse, plus pleine d’extase, plus éternelle que l’oeuvre charnelle. »
- (AMDB )
Tu sais, on ne donne pas de repère à un peintre abstrait, parce que c’est abstrait…Il fait ce qu’il veut, cracher sur la toile, etc. ça restera de l’abstrait ! Donc, on ne le comparera pas à un autre. Paradoxalement, même PICASSO, on l’a comparé à l’art nègre. On disait : « il a copié l’art nègre », mais cela n’a aucun rapport. Mais les gens ont besoin de mettre une étiquette.
Moi, on me compare bien à ARCIMBOLDO, alors que je ne le connaissais pas à l’époque. Je faisais de l’arcimboldesque très tôt à 2 ans. Quand on a commencé à m’assimiler à lui, j’ai fait des recherches, et je me suis rendu compte que les Chinois le faisaient déjà depuis 2000 ans. Il n’était pas encore né.
Suis-je un homme de la tradition, comme tu le suggères ? L’inconscient remonte le temps. Donc, si tu veux aller par là, on croit créer, on ne crée rien du tout. On retrouve ce qui a déjà existé, et on l’améliore. On le renouvelle en quelque sorte avec une autre écriture en fonction du temps présent.
Quant à mes grands thèmes, disons que j’aime bien représenter toutes les émotions, que ce soit la tristesse ou la joie. C’est important. La métaphysique en serait une, puisque l’on revient en arrière, mais c’est plutôt le mystère, la fascination qu’elle me fait découvrir. Je vais par exemple employer des lumières spéciales dans ma peinture, pour donner un mystère. Pour faire ressortir un sujet qui aille avec la pensée de l’individu. Et, çà, c’est très important.
Le désir ? La chair est la continuité de la vie ; sans la chair il n’y aurait pas de vie. On procrée par la chair, en donnant une part de soi-même. Il serait difficile de vivre sans la chair.
Ma toile avec le squelette qui fume ? Il ne prolonge pas sa vie, mais il rappelle que la mort peut arriver par la cigarette.
Ma racine marrane ? Oui, je pense, puisqu’on m’a fait remarquer au Portugal qu’il y avait des synagogues du même nom que le mien. Mes ancêtres paternels sont de Lisbonne. J’ai aussi des clients là-bas.
Je ne cours pas après les expositions, c’est ennuyeux à faire.
- (ELN)
« Les chevaliers gravitent sur les damiers.
Chaque tournoi est un coup de dés.
Et si le hasard abolissait le destin ?
Ou l’inverse ? »
(C’est ce que j’avais écrit en 2004 sur ton atelier.) Est-ce la Quête de la Connaissance cachée, du Graal ?
- (AMDB)
C’est en quelque sorte la quête de la victoire, de la vie, pour ne pas mourir. L’art repousse la limite. La vie est toujours victorieuse, pas la mort. Avec la mort, on ne sait pas où l’on va réellement, tandis que tu connais ta vie, ton parcours.
3) Ta définition de Montmartre ? C’est sûrement important d’être installé au 102 rue Lepic, et pas ailleurs ? 102 = 12 : 1+2 : 3 / 12, la communication, l’expression mais avec une certaine nostalgie ?
J’y vis depuis 53 ans, et il y eu plusieurs époques. C’est devenu mercantile, n’importe quoi ; le soufflet est épuisé. L’esprit s’est envolé depuis les années 90. C’était mieux Montmartre dans le temps, quand finalement il n’y a avait pas de règlementations. Quand les peintres étaient embarqués, comme des prostituées, on leur saisissait leur matériel, etc. Mais il y avait l’âme artistique, maintenant elle n’existe plus.
Il a 20 % de vrais peintres, le reste c’est du faux, de l’attrape-nigaud. Un artiste doit être personnel, et avoir sa propre écriture. Le fait d’être à Montmartre ne permet pas d’échapper à la crise de l’art, du marché. Les galeries ont fermé, ou vendent en made in Hongkong les reproductions du passé, mais rien de contemporain.
Le pire aujourd’hui, c’est qu’on te vend dans des pseudo-galeries, des supermarchés de la honte, des conneries de peintures reproduisant des vues de Montmartre. Toutes ces boutiques-souvenirs ne vendent plus que les mêmes produits. Exit les boucheries, les boulangeries, les épiceries d’avant, il n’y a plus rien de tout cela. Pour aller faire ses courses maintenant, il faut aller au-delà des Abbesses, où se concentrent les boutiques de mode.
Mais Montmartre me donne quand même de l’inspiration, parce qu’il y reste une âme, avec le tracé des peintres anciens et reconnus. Dans ma galerie du 102 rue Lepic, qui n’a jamais changé, il se passe toujours des rencontres, des révélations en positif et en négatif. Il faut conserver la même âme. Je n’ai pas besoin de faire la pute, de faire comme tout le monde. Beaucoup de gens s’arrêtent devant, tant des Français que des étrangers.
Je ne vends pas les originaux, représentant parfois six mois de travail, et qui sont hors de prix, mais pour donner en final la moitié à l’Etat, cela ne m’intéresse pas.
4) Alors, « Pigalle-Montmartre, la remontée vers Aleph » sur les pas du Kabbaliste Emmanuel LEVYNE, cela te parle ?
Notre rencontre dans ton atelier en 2004 fut une sorte de révélation et d’encouragement à continuer dans notre concept « Féeric, les Lieux magiques », créé près de la Place Clichy, à l’impasse de la Défense. Notamment en nous permettant d’utiliser certaines de tes oeuvres pour en faire une maquette de départ du projet.
- (AMDB)
D’abord, pour le film Amélie POULAIN, je remarque surtout le côté commercial et marketing. Je n’y ai pas vu de message particulier. Dans ce cas, je préférais le film sur la Môme PIAF, c’était plus authentique.
Cette transition symbolique, cela me parle évidemment. Elle représente le trajet de gens renommés qui ont été là finalement pour construire Montmartre. Comme exemple de ce chemin entre l’ombre et la lumière, il y aurait par exemple MANET, qui y vivait souvent, avec sa peinture mystérieuse dans ses éclairages qui lui sont propres. On le rapproche de VELASQUEZ.
Il n’y a pas eu de peintres surréalistes de Montmartre. PICASSO, qui passa au Bateau-Lavoir, était en partie en correspondances à travers certaines de ses nombreuses écritures, plus ou moins liées aux périodes de Montmartre. Van GOGH a eu sa chambre un temps au bas de la rue Lepic.
Mon oeuvre reflète aussi tout ceci par son mysticisme.
5) Ah, enfin, parlons, si tu le veux bien, de ton sublime tableau GOLGOTHA, peint vers 1984, et resté méconnu, selon ta volonté.
- Golgotha est le Mont du Crâne. Mont Martre est le Mont des Martyrs.
- Pourquoi « toutes ces faces face à la Face » jusqu’au Sacré-Coeur de Montmartre ? A la Place du Tertre, on se fait tirer le portrait en permanence. Il y a bien là quelque chose, non ?
- Yeschouah (Jésus-Christ), le Prince de la Face - YH(SH)VH - au Golgotha du Mont Martre. Le Dieu du Lieu ?
- La pièce finale de ton puzzle intime Lune-Soleil ?
- Ton tableau GOLGOTHA n’est-il pas un message alchimique, dans l’attente de sa révélation ?
- Quelle est la pièce qui se joue là ?
- Maître André, est-ce l’heure du dévoilement ? dans le Code et la Kabbale de Montmartre ?
Nous retenons notre souffle…
- (AMDB)
A mon avis, ce n’est pas un face à face. Le problème est que les gens s’imaginent qu’en achetant une oeuvre à Montmartre, ou en se faisant portraiturer Place du Tertre, le peintre va devenir célèbre. Les gens rêvent, et il ne faut pas oublier quand même que tous les peintres célèbres du siècle dernier venaient de Montmartre (RENOIR, PICASSO, MONET, MANET, SOUTINE, etc.)
Pour les touristes, c’est très important, même si c’est une image complètement faussée. Mais pourquoi pas ? Même si un jour un peintre sortira du lot. Comme UTRILLO, il était sur la Place du Tertre, et il est sorti…
L’attirance et la croyance perdurent sur le fait que le succès est passé, et passera par ici, quand on est peintre.
Si tu regardes bien, beaucoup de films sont tournés à Montmartre. C’est un nom, une histoire, une petite montagne, de Commune dite libre dans l’esprit des gens, même si c’est faux.
Je pense que cela explique tout. Ces faces différentes dont tu parles, ce sont les gens qui viennent à Montmartre qui créent ces faces-là. On y vient bien pour cela, en espérant en tirer une chance, du succès, une réputation. C’est là que ça doit se passer pour se faire connaître, et reconnaître. Comme peintre ou comme sujet d’ailleurs, c’est la même logique.
Si tu es arrivé au Centre, tu ne peux pas ne pas être (re)connu, ne pas avoir de visage.
Et j’ai peint « Golgotha » uniquement pour une raison, sujet qui me tenait à coeur, premièrement, et que je ne voulais pas faire comme tout le monde. Je l’ai composé de telle façon qu’on puisse voir les trois Croix, la tête du Christ, qu’on puisse imaginer la scène, alors qu’elle n’a jamais été créée comme cela. Le visage est masqué, car il y a le visible et le caché. Comme tout un chacun.
Il y a un visage, mais toujours à double face. On le trouve ici dans la profondeur et la durée.
C’est quoi la face cachée ? L’ombre portée d’un individu sur un mur, ou n’importe où, quand on met son visage en pleine lumière.
De toutes façons, tu sais, on est fait de quoi au fond ? des atomes lumineux, c’est tout. On est rien et tout en même temps.
En final, à Montmartre, tu es un pion que l’Esprit déplace sur son Damier...
7) Parlons de l’avenir de l’art. Mis à part le haut de gamme, je suis plutôt pessimiste pour le monde de l’art. Trop d’images nous envahissent, et il n’y a plus forcément la culture pour les différencier et les apprécier. Chacun devient le producteur et le jongleur de ses images via le smartphone et les réseaux dits sociaux (facebook, Instagram, etc.). En un mot, le rapport à l’image change. Qu’en pense un artiste du monde ancien comme toi ? Que seront les artistes et les oeuvres du monde nouveau ?
- (AMDB)
Dans l’art de l’imaginaire, avec l’outil internet, il n’y a plus de création. Maintenant, un artiste crée avec des logiciels, et il n’a plus besoin de penser. Disons que c’est le logiciel qui va penser à sa place. Le surréalisme est devenu un art formel, sans intérêt.
La régression de l’esprit a commencé avec internet, il ne faut pas l’oublier. Vers 1980, le surréalisme s’est arrêté, et le monde de l’informatique est arrivé. Beaucoup ont profité de cette faille pour devenir des faux artistes.
A notre époque, le vrai artiste n’a plus besoin de galerie et de quoi que ce soit. Le collectionneur qui adore son art et qui va l’acheter, n’a pas besoin de se trouver dans une galerie. Il peut mettre ses oeuvres en vente en ligne, et s’il a vraiment de l’originalité, il vendra toujours. Pas si c’est bricolé avec de la PAO.
Malgré tout, je crois à l’avenir de l’art, mais autrement.
Prenons le cas des imprimantes 3D. Je pense plutôt que les artistes vont créer des oeuvres en deux dimensions, et transposer en trois dimensions. Ce qui sera conséquent. Il y aura alors un renouveau de l’art par rapport à des techniques.
L’artiste aura toujours besoin de son esprit. Il va toujours calculer en deux dimensions, mais il y aura les trois dimensions pour parfaire son oeuvre. Ce sera un bien. La toile du peintre disparaîtra. Je pense que c’est çà qui va arriver, le relief.
Je ne crois pas au court-circuitage avec le client final. Il y aura avec le temps une épuration chez les artistes qui font actuellement des performances, des installations. On ne fera plus des expositions éphémères et coûteuses qui ressemblent à rien du tout.
L’argent se fait rare, mais on appauvrit pas l’esprit, qui a toujours besoin de consommer, et de se renouveler.
Et qui fait la renommée d’un peintre ? c’est le riche, pas le pauvre. Il spécule, il achète la signature, pas l’oeuvre, du faux, comme des faux billets de banque.
L’art ne s’arrêtera pas ; il aura une autre dimension.
La consommation artistique globale se développe grâce à internet, mais à condition d’avoir un contenu, une écriture, des idées…
L’esprit avec la créativité, devenus rares, mais indispensables. Cela reviendra, c’est obligé.
8) Il y a le Soleil, mais aussi la Lune. Derrière tout grand homme se cache une femme…
Mon épouse, Deddy, m’a souvent épaulé dans l’avancée de mon oeuvre. Si celle-ci est aujourd’hui aboutie, c’est plutôt grâce à elle, par l’encouragement de toute une vie, qu’elle m’a prodigué sans attendre un seul retour.
9) Terminons, si tu le veux bien, par l’un de tes poèmes au choix.
MONTMARTRE
C'est tout Montmartre qui rit et joue du charivari,
Tout semble surréaliste mais aussi cubiste.
L’art des séries fleuves fleurit dans ce vieux Paris
Où la butte fourmille de touristes passéistes.
Ce tertre n’a jamais une minute sans lutte
Pour s’y restaurer, il faut adorer et picorer.
Les cabarets font chanter les flûtes aux azimuts
On ne peut que dévorer les lieux pour les décorer.
Montmartre a ses petits poulbots, beaux comme des robots;
Ils jouent au tambour, vaillant, rutilant et vigilant,
Remplissant de sons des flambeaux, que tiennent les lambeaux
Au vieux passé ambulant oscillant et titillant.
Il y a aussi ces poètes chanteurs et créateurs.
La fête est un cœur qui bascule et déambule.
Quand la nuit tombe seul l’initiateur est le rabatteur
Qui s’enhardit et véhicule les noctambules.
Tôt au petit matin dans les rues tout à disparu
La butte Montmartre comme une abeille s’éveille,
On suit la montée de ses petites rues parcourues
En découvrant en plein soleil l’éveil des merveilles.
La colline de Montmartre est câline et féline,
Elle est facile à dompter, à monter à volonté,
Elle est cristalline et de Paris l’orpheline,
Elle attache a nos envies une bonté effrontée.
Merci, notre ami André, digne et éternel Poulbot, témoin de l’âme et de l’art montmartrois.
© Propos d’André MARTINS DE BARROS recueillis par Eric LE NOUVEL, au Studio 28 le 4/11/15.
(Photos AMDB jeune et tableaux, copyright André Martins de BARROS - autres photos © Féeric, les Lieux magiques.)
ET LE TEMOIGNAGE D'AMITIE DE JOËL PAWLOWSKI...