4.3 LA KABBALE DU MERVEILLEUX
La Féerie, un degré d'âme, comme nous cherchons à en témoigner, dévoilant parfois la psychologie des profondeurs en relief et en creux dans notre relation à certains Lieux, reflet de "la cause des causes" ?
Mieux que cela répond un Maître de la Kabbale, le niveau du Merveilleux nous permettant d'accéder "non pas (à) l’amour de la Sagesse, mais (à) la Sagesse de la Sagesse : Une Sagesse sans Cause." (...)
"Le seul courage qui nous est demandé, c'est d'accepter de faire face au Merveilleux." (Georges LAHY - VIRYA)
Re : Épistole #58
Bonjour à tous !
Le Séfer Yetsirah s’ouvre ainsi : Bashloshim oushtaïm netivoth pelioth. בַּשְּׁלֹשִׁים וּשְׁתַּיִם נְתִיבוֹת פְּלִיאוֹת
« Dans trente-deux sentiers Merveilleux … »
Les trente-deux sentiers de la Sagesse constituent des sékélim [שְׂכִּלִים], des aspects, ou des états, de la Conscience, que la mystique nomme le Sékhél [שכל] et que le maskil [מַשְׂכִּיל], l’adepte ou le « conscient » emprunte afin de concevoir (mouskal) [מֻשְׂכָּל] et laisser le Merveilleux s’épanouir en lui.
Dans le langage moderne, ces termes non pas tout a fait le même sens. Sékhél [שֵׂכֶל], se réduit à l’intellect, au simple bon sens. Alors qu’on peut le lire : Shin-kal [ש כל] et le comprendre « esprit du tout ». Mystiquement, c’est la Conscience qui unit le tout et dont le rayonnement pénètre tout. Ce qu’Abraham Aboulafia appelle Or ha-Sékhél : La Lumière de la Conscience. L’adepte qui s’y engage est un « maskil » [מַשְׂכִּיל], un initié qui recouvre conscience et progresse dans le sentier de la mystique. En hébreu courant, il s’agit simplement de quelqu’un d’intelligent et d’éduqué. Ces adeptes dans le sentier initiatique, sont appelés « maskilim » dans le Livre de Daniel : הַמַּשְׂכִּלִים יַזְהִרוּ כְּזֹהַר « Les maskilim resplendiront comme le Zohar » (Daniel 12:3). וְהַמַּשְׂכִּלִים יָבִינוּ « Les Maskilim comprendront (à travers Binah) » (Daniel 12:10).
(Abraham ABOULAFIA)
En langage philosophique, mouskal [מֻשְׂכָּל] est l’idée, le concept. En langage courant, c’est de la logique rationnelle. Alors que pour le mystique-maskil, il s’agit au contraire de quelque chose de totalement irrationnel, dans la transcendance de la Conscience du Merveilleux. Irrationnel dans le sens qui dépasse l'intellect et le raisonnement. En opposition à l’échafaudage assemblé par les raisons qui piègent notre spiritualité vraie.
En effet, le Merveilleux dépasse les limites ordinaires, c’est la réalité de la Conscience d’Être qui surpasse l’esprit temporel par son caractère ineffable. Que la fable, par ses allégories, tente d’extraire de l’infini pour en ramener des bribes dans la conscience rationnelle. Dans le monde séparé par les frontières du rationnel, le Merveilleux ne peut se percevoir allusivement qu’à travers sa dimension onirique.
Le sentier du Merveilleux
Le Merveilleux, se nomme « Moufla » [מֻפְלָא]. Ce mot est souvent proposé comme synonyme de mystérieux, d’occulte et de tout ce qui dépasse la compréhension. C’est-à-dire la Binah. Rachi l’interprète comme : « Une chose séparée et explicite de vous, que le Saint, béni soit-Il, n'a pas voulu vous révéler. »
Le terme est issu de « pélé » [פֶּלֶא] qui signifie, merveille, prodige, miracle. Éclos de la racine « pala » [פלא] dont le sens est : séparer, distinguer, mettre à part (dans le sens de consacrer) pour rendre extraordinaire. Ce qui est difficile à accomplir ou à comprendre. Toutefois, la séparation et la distinction naissent plutôt de la racine « palah » [פלה], qui est très proche.
On peut facilement observer que « pélé » [פֶּלֶא] est le nom de la lettre Alef [אָלֶף], premier signe de l’alphabet hébreu, écrit à l’envers. Ce lien n’est pas anodin car le Merveilleux s’exprime par l’intermédiaire du premier sentier de la Sagesse. De plus, pélé et alef ont une guématria de 111. Cela est un signe de l’unité des trois principes premiers. Le Merveilleux est l’adhésion à l’Infinie Lumière du « Yaħid ve-éin lo shnéi » (l’Un sans second), selon la formule du Séfer Yetsirah. Cette Adhésion, cette dveqouth [דְּבֵקוּת], avec la Conscience Une, à l’Un-Merveilleux (Alef-Pélé), ne doit pas subir d’altération de la part de la dualité des nombres (misparim). Ainsi, le Merveilleux transcende la nature même des Sefiroth (numérotations). C’est pourquoi le Séfer Yetsirah ajoute : « Lifnéi éħad mah atha sofér » (Devant l’Un, pourquoi comptes-tu ?).
La dualité apparaît par l’oscillement de lumière discernant l’un, Alef, du Merveilleux, Pélé. 111 est doublé et devient 222. Nombre de barak [ברך], bénir et rékév [רֶכֶב], véhicule. Ce dernier est la racine de merkavah [מרכבה], le Char. On peut d’ailleurs considérer que les trente-deux sentiers sont les merkavoth du Sékhél, de la Conscience. Il est possible de continuer en doublant 222, soit 444. Nombre de diméth [דמת] qui nous crée « à l’image » et de madath [מדת], à la mesure. La mesure et l’image offrent un véhicule à la bénédiction et connecte à l’unité du Merveilleux.
Selon la terminologie du Rabad, le premier sentier de la Sagesse s’appelle « Sékhél Moufla » [שֵׂכֶל מֻפְלָא] : Conscience du Merveilleux. Il décrit ainsi ce niveau de Conscience :
« Le premier Sentier est appelé Conscience du Merveilleux. Et c'est la Lumière conceptuelle (mouskal) primordiale. Et c'est la Gloire première qui est « ein » (néant) pour chaque créature, sa réalité ne peut s’appréhender. » [פירוש הראב"ד לספר יצירה].
Moïse Cordovéro le commente ainsi : « C'est une Conscience mystérieuse et cachée qui ne peut être appréhendée par rien d'autre qu’elle-même, tout comme la Cause des causes. Et il est dit que tous les Sentiers sont contenus en elle de façon générale. Et c'est le sens de Pélé, c'est-à-dire Alef. Et tout comme la forme du Alef contient toutes les lettres, de même ce Sentier contient tout les Sentiers. Il est dit "primordial" car il précède toutes les Existences. » (Pardès Rimonim #12).
De façon allégorique le Séfer ha-Bahir dit : « Un roi merveilleux (moufla), caché et dissimulé entra dans sa maison et ordonna que personne ne le cherche. » (§71)
La Lumière merveilleuse
Passant du reflet de Kéter à celui de Hokhmah, l’Infinie Lumière (Ein-Sof-Or) devient Or Moufla [אור מופלא] (Lumière Merveilleuse). Un terme principalement utilisé dans des textes anonymes médiévaux. Cette Lumière apparaît dans la classification des treize attributs du Séfer Ha-Iyyoun :
« La première est appelée Sagesse primordiale (Ħokhmah Qadoumah - חכמה קדומה). La seconde Lumière-Merveille (Or moufla - אור מופלא). La troisième Ħashmal (חשמל) … ».
Bien que citée en second, Or Moufla peut directement désigner Kéter, puisqu’elle est dissimulée de tout œil. Mais l’appellation est aussi associée à Ħokhmah, car elle est dissimulée de tout ce qui se trouve en dessous d’elle. Certains commentateurs réunissent les trois premières sefiroth sous l’appellation de Lumière merveilleuse.
La lettre Laméd au centre des mots pélé et alef suggère le mystère d’Or moufla :
« Le Laméd a la forme d’Or Moufla qui se dresse, comme un miroitement de la Conscience, car tout apparaît en elle. Et c’est son Sentier. (séfer ha-Peliah : Livre du Merveilleux – Texte anonyme médiéval).
Un autre petit texte anonyme médiéval : Sod yédiath hametsioth meqabalth hagaonim (Secret de la réelle connaissance de la Kabbalah des gaonim), enseigne ceci au sujet de l’Or Moufla :
« La troisième partie c’est le Sud (darom), homophoniquement dar rom [דר רום] : résidence haute permanente. Sans oscillation. Aucune créature ne peut l’appréhender : pas de ressemblance, pas de forme, pas d’imagination, pas d’idée, pas d’image, pas de certitude, pas de mouvement, pas de système, pas de délimitation, pas de pensée, pas de révélation, pas de dissimulation. Mais seulement la substance qui est perçue uniquement par le miroitement de l’éclat primordial, appelé : Or Moufla. L'essence mentionnée ici n'est pas ancrée dans quelque chose qui est constitué comme toi. »
Si l’on se réfère à un autre texte anonyme médiéval (j’en possède toute une large collection), le Séfer Mayan ha-Ħokhmah (La Source de Sagesse), Or Moufla est l’Éther primordial :
« Le Alef est crucial, par lui dix couleurs jaillissent de l’Obscurité. Ce sont : éther de l’éther, Zohar du Zohar, radiance de radiance, ardeur d’ardeur …, il y en a dix. La première c’est Or Moufla : Avir meavir (Éther issu d’’éther). La deuxième c’est Or ha-Nistar : Zohar issu du Zohar. La troisièmes c’est Or Hitnoutséts : radiance issu de radiance. La quatrième c’est Or Tsaħ : Lumière de Lumière. La cinquième c’est Or Mitsouħatsaħ : Lumière issue du Zohar. La sixième c’est Or ha-Zohar : la Radiance de Lumière. La septième c’est Or Mezouqaq : Lumière de radiance. La huitième c’est Or Tsaħ ou- Mitsouħatsaħ : Radiance du Zohar. La neuvième c’est Or Bahir : Zohar de radiance. La dixième c’est Or Nogah : Ardeur d’ardance. »
Il poursuit quelques lignes plus loin :
« Ce sont leurs chemins en fonction de leurs origines. C'est l'explication de la source, qui a déjà été mentionnée, chacun selon sa nature. Le premier est la Lumière merveilleuse (Or Moufla), qui n'a pas de couleur ; néanmoins, elle fait miroiter la puissance de chaque couleur. Car la Lumière merveilleuse (Or Moufla) reçoit de la mutation issue de la Lumière obscurcie par la lumière. C'est la tête de toutes les couleurs, même si elle ne possède pas de couleur fixe. Elle est semblable à l’éclat de l’azur (tékeléth) ».
Un commentaire anonyme médiéval sur les trente-deux sentiers fait allusion à la méditation de cette lumière : « Or Moufla : Est la puissance translucide que chacun contemple en fonction de sa force et de sa limpidité. C’est le miroitement que chacun contemple en son axe. » Plus loin, ce même texte dit : « La Shekhinah est Or Moufla ».
Délices au pays des merveilles
L’esthésie du Merveilleux ouvre à l’Infinie Lumière, elle supprime les frontières spatio-temporelles et révèle tous les possibles. Penser une chose impossible, revient à lui retirer sa dimension du Merveilleux. Ce concept n’est pas cérébral, il s’agit d’une réalité subtile que l’imagination forte de ses croyances efface à gros traits. La dimension du Merveilleux se rencontre dans le flux stable et silencieux de la Conscience vraie. Conscience qui est notre part d'Ein-Sof.
Pour celui qui est à l’écoute, s’ouvrent à chaque instant de légères fissures dans les murs obscurs de la matière, laissant darder par petits flashs de minces filets de l’Or Moufla, qui ravivent notre spiritualité, nous rappellent notre mission d’être et nous reconnectent au Zohar de la Hokhmah. Renforçant ainsi, non pas l’amour de la Sagesse, mais la Sagesse de la Sagesse : Une Sagesse sans Cause.
Cette Merveilleuse Sagesse caresse nos âmes de son Zohar et révèle silencieusement le secret de l'Harmonie du Monde. La réponse cachée à tout ce que l'on vit ou ressent comme malaises et bien-aises de ce monde. Au-delà des philosophies, des éthiques, des croyances et des dogmes. Choses que la logique humaine ne saura jamais élucider, mais dont la Conscience Vraie réunit les irréfragables tenants et aboutissants.
Le seul courage qui nous est demandé, c'est d'accepter de faire face au Merveilleux.
© Georges LAHY - VIRYA
Avec tous nos remerciements.
(Photos : Wikipédia - Calligraphies © Frank LALOU)