8. HOMMAGE A FRANCOIS VIGOUROUX
Du « Secret de Famille » à « L'Ame des Maisons », François VIGOUROUX (1935 - 2013), chercheur brillant et implacable, véritable virtuose de la connaissance transgénérationnelle, nous guide dans notre relation entière aux lieux.
Celle-ci nous interroge sur une psychologie qui leur soit dédiée, à travers une couche de l’inconscient collectif à explorer et mettre en lumière.
C'est ici que cela se passe. (cf. Essai sur les inconscients où s'esquisse une parole de Jean-Yves LELOUP - Ed. Le Fennec)
1 - « L’AME DES MAISONS » (P.U.F, 1996)
Un livre magistral qui fait référence sur un sujet essentiel et rarement traité, notre rapport intime à la maison. En 14 histoires, dont un conte célèbre d’Edgar POE, la démonstration est faite :
- « Habitations principales ou résidences secondaires, elles ont presque toujours été des lieux magiques où l’amour et l’espoir se nourrissaient d’avenir, mais aussi des lieux de conflits et de douleurs, les territoires d’affrontements violents ou sordides. Dès qu’on parle d’elles, tout se dramatise : il est aussitôt question de vie et de mort.
- Notre maison est notre seconde peau. Elle représente notre réalité charnelle et morale.
- Maisons de la mère, hyper-protectrices, généralement dénuées de projet et d’avenir.
- Maisons du père permettant de s’élever pour prévoir et créer.
- Maisons de la transformation permettant de rompre avec le passé.
- Elles sont nos enfants.
- Toute maison est androgyne, avec l’obligation de mouvement et de dépassement qu’elle nous impose.
- Lieu d‘empêchement et lieu d’accomplissement, lieu de blessure et de guérison, un espace de création.
- Il n’y est question que de l’amour et de son manque, au creux du désir et de la peine.
- Rappelons aussi que le corps est notre première maison. Nous n’avons jamais été assez aimés : là est notre mystère et notre souffrance.
- NB : les résidences secondaires ramènent à des problèmes beaucoup plus affectifs et psychiques relevant du coeur et de l’âme, et non plus du corps.
- Rapport à la Gestalt, la forme proche des archétypes enfouis dans les régions les plus anciennes de notre mémoire.
- La maison de l’homme est d’abord un espace symbolique où il se représente tout entier dans un microcosme. Elle est structurée verticalement pour relier le ciel et la terre, horizontalement pour relier le masculin et le féminin.
Elle a une dimension religieuse, elle est toujours un temple. Elle assure une relation agissante entre l’ordre cosmique et l’ordre personnel. Et si les hommes construisent des tours et des temples, c’est aussi pour ne pas devenir fous.
- A l’origine de ce qu’on appelle « maison hantée », on trouve toujours les difficultés et les souffrances psychiques, plus ou moins inconscientes, de ses occupants ou de leur voisinage.
- Lieux d’affrontement avec les plus terribles de nos fantômes, c’est-à-dire nos manques.
- La réalité tangible des maisons est sans importance : elles servent seulement à passer d’un état de conscience à un autre, d’un stade à un autre. C’est leur seule utilité. Nous rencontrons la maison qu’il fallait construire pour pouvoir la quitter. Prodigieux travail auquel nous contraignent nos demeures. Elles ne sont pas faites pour ce qu’on croit. Ce ne sont que des lieux de passage.
- Ouvertes ou fermées, lumineuses ou obscures, elles sont toujours à un moment ou à un autre, des lieux de deuil, c’est-à-dire des lieux de métamorphose. Ce sont des transformateurs de conscience, des creusets où s’opèrent d’étranges transmutations.
- Si nous étions plus attentifs à la nature de notre relation avec notre habitation et à ce qu’elle exige de nous, nous comprendrions mieux ce que nous sommes et prendrions davantage soin de nous.
- Les maisons sont des miroirs. Mais, naturellement, nous ne nous reconnaissons pas en elles.
- Elles nous relient à un ordre plus grand. Si elles nous demandent de les aimer et de les reconnaître, c’est parce qu’elles nous demandent de nous aimer et de nous reconnaître nous-mêmes.
- Ce sont toujours des demeures philosophales.» Etc.
CONTREPOINT
Pouvons-nous appliquer cette grille de lecture à nos chers Lieux féeriques et magiques ?
Oui, en partie seulement, car la partie projective riche en archétypes n’explique pas tout. La nature, l’univers nous dépassent largement, et l’âme du monde s’en fait le porte-parole à travers notre propre degré d’âme, dans l’ouverture et l’échange.
L’ADN a aussi sa part d’émission / réception en défiant le temps qui n’existe pas, et en agissant à notre insu. Quel chance accéder au Continuum de ce qui a été, est et sera, et de le partager.
(à suivre)
2 - « LE SECRET DE FAMILLE » (Hachette - Pluriel, 1993)
L’enjeu principal de la maison est la famille qui cache un secret comme toute les autres. 12 histoires nous révèlent le visage d’une certaine époque, et l’Intime de la condition humaine.
- « La dissimulation du secret des origines, de la filiation.
- l’Oedipe est la pierre angulaire du secret.
- tout secret de famille est étroitement lié à l’inceste (confusion fondamentale) ou au désir qui le fonde, que cet inceste ait donné lieu à un acte ou soit, le plus souvent, demeuré dans l’imaginaire et le symbolique.
- son jeu échappe aux lois de la causalité ordinaire et aux contraintes physiques de ladurée et de l’espace.
- la question essentielle se pose : qui suis-je ?
- des signes et des indices sont toujours disposés sur le chemin de celui que le secret concerne.
- ce double mouvement : dissimuler-révéler est celui-là même qui constitue l’essence du secret.
- le secret de famille, ce n’est rien d’autre que l’histoire d’un amour et la peur de le perdre.
- le cheminement qui sert à parvenir à la vérité du secret constitue le secret lui-même. » Etc.
3 - « L’EMPIRE DES MERES » (P.U.F, 1998)
« La mère et l’amour maternel sont-ils toujours des sujets tabous ? Peut-on remettre en cause les pieuses images d’amour, de dévouement et de sacrifice qui ont fait de la mère une sainte intouchable ?
Cet essai relate l’histoire d’une famille pendant plus d’un siècle, à travers cinq générations, en France et en Allemagne. Il montre l’emprise du principe maternel sur les personnes et les sociétés. Les mères n’ont de cesse de restaurer le mythe du père dans son imaginaire splendeur et de sacrifier à ce rêve leurs enfants.
Ce voyage au coeur d’une famille montre le cours souterrain des passions qui la font vivre. Tous les personnages de cette histoire sont aux prises avec des fantômes qui parasitent leur vie : leurs ancêtres.
L’effondrement apparent de nos certitudes n’est pas une mort du père ou de l’autorité. C’est une mise en cause de la toute-puissance de la Grande-Déesse-Mère. »
Voici un ouvrage exemplaire qui devrait figurer dans chaque bibliothèque familiale comme référent du livre absent de la famille à écrire sur x générations. Il n’y a pas que le chef-d’oeuvre "Cent ans de solitude" de Gabriel Garcia MARQUEZ (1967) qui compte à ce sujet.
Certes, on commence à rédiger des biographies à l’usage des descendants, mais on est bien loin du compte d’envisager de dévoiler le Code de sa famille, avec tous ses tabous, son bilan actif / passif, etc. en vue de la transmission, déjà en place via l’A.D.N. Mais pour résoudre une équation, il faudrait déjà la connaître.
Tout conspire à cacher son existence contradictoire, face à la quête incessante de l’origine. On cherche ce qui est soigneusement dissimulé pour ne pas le trouver.
Chaque femme est une mère porteuse de sa Loi primordiale. La guerre des sexes est une guerre de territoire, et la condition féminine n’est vraiment lisible qu’en analysant son enjeu psychologique véritable dans le genre humain. Le sexe faible disiez-vous ?
L’émergence des femmes ne les mèneraient-elles pas aux portes du pouvoir absolu ? A priori, non, puisqu’elles l’auraient depuis toujours…Déjà Reines du Royaume (Séphira Malkhouth, le monde). Bourreaux et victimes sont des rôles interchangeables. Il y aurait même des choses à dire sur le fond de la violence conjugale.
En attendant, découvrons ce qui nous est proposé. Le noyau du secret de la famille FALCK est constitué par la dette initiale de la déchéance et de la mort de l’ancêtre Natalis dans une mort assimilée à un suicide. Il avait perdu sa mère à la naissance, et portait une culpabilité inconsciente non solvable.
En toile de fond de l ‘Allemagne du 19° siècle, Heidi, la 3° enfant de Natalis et de Hildur, naquit après la ruine de son père, non désirée. Elle porte la dette de la « réparation du père » en vue de restaurer sa grandeur, lui permettant de prendre sa revanche face à une mère destructrice.
Le « maléfice maternel » d’enchaînement l’oblige, elle, l’enfant non désirée à essayer toujours de guérir sa mère, de la soigner, de lui faciliter la vie dans l’espoir d’en être un jour aimée…tout en éprouvant en même temps pour elle une haine mortelle.
Voici la trame de départ, digne de l’atmosphère de bien des contes de fées et de sorcières, qui ne sont souvent que le miroir de nos destinées cachées. Les générations suivantes sont conditionnées par ce schéma implacable dictant sa loi invisible.
Puis, Aloÿs et Heidi. Le mari va devenir de pilier de la dynastie : « cet homme qui a manqué de chaleur maternelle va créer une entreprise dont l’activité est fondée sur la récupération de la chaleur ! (…) il recrée une mère aimante qu’il pourra protéger, et même guérir, afin qu’elle donne de sa chaleur et de son amour. Il fait de entreprise un simulacre, une figure, un golem de mère. Le feu et la chaleur commandent concrètement et métaphoriquement toute l’existence d’Aloÿs FALCK. » Voici la pièce maîtresse de cette constellation familiale.
3 enfants : Augusta, Ernst-Theodore, Gerlinde, « chargés par leur mère de réussir dans la vie ! C’est pour elle une nécessité absolue, une question de vie ou de mort. »
Leur génosociogramme transparait dans les vies décousues, et apparemment incohérentes, des descendants, jusqu’à la faillite finale de l’empire industriel familial. Le jeu vaut la chandelle qu’on s’y intéresse, croyez-moi :
- « Ceux qui tirent les ficelles. Les fantômes, tous les ancêtres qui supplient leurs descendants d’achever leur oeuvre, de réparer leurs erreurs, de guérir leurs blessures, d’effacer leur honte… »
- « Ils demeurent en tout et pour toujours exemplaires. Là est notre histoire. Là est notre destin. Nous n’avons jamais pu les quitter. Non, ils n’existent pas, ils n’existeront jamais ceux qui pourraient les remplacer, prendre leur place dans nos coeurs…Nous sommes pour toujours prisonnières de cette maison et ce qui s’y est passé. »
- « Augusta découvrit l’importance du non-dit dans la vie psychique et les effets dévastateurs des secrets qui portent sur la filiation, les secrets de famille.
Non, les hommes ne la quittaient pas. C’est elle qui les abandonnaient. Elle les avaient choisi pour cela.
Elle jouait pour ses enfants tous les rôles. Même lorsqu’ils tentaient de la quitter, ils la rencontraient encore, toujours prête à les aider, et même à les aider à se séparer d’elle ! »
- « Obéir à Heidi, c’est trahir Aloÿs. Demeurer fidèle à celui-ci, c’est trahir Heidi. Cette injonction paradoxale n’a véritablement d’effet que lorsque elle est inconsciente, c’est-à-dire lorsque l’intéressé n’en perçoit pas la folie.
- « Ecartelé, crucifié entre ses parents, c’est pourtant à cet insoluble dilemme que chaque être humain est confronté. Rien d’étonnant à ce qu’il ait du mal à vivre. »
- « Les enfants se débattent avec l’innommable - une douleur enfouie dans inconscient du parent dont ils souffrent non seulement sans en connaître l’origine, mais sans même en soupçonner la présence. »
- « Comment défaire ce noeud névrotique ? D’abord en le laissant en l’état. Ensuite, en de débarrassant du problème sur la génération suivante. »
- « Les mères ne seraient donc que des filles follement amoureuses de leur père et qui édifient leur empire sur cette passion. »
- « Pour la mère, c’est toujours l’image qu’elle s’est faite de son propre père qui vient se surimposer à celle des autres hommes. »
- « Il faudra s’en convaincre, la détermination du sexe de l’enfant n’est pas un effet du hasard ou de la Providence ! C’est bien le résultat d’un désir agissant de la mère, un désir qui dépasse de beaucoup son vouloir conscient et qui peut même lui être contraire. » Etc, etc.
Dans les bons plans de l’auteur, relevons ces quelques étincelles salutaires de psychologie :
- « Il faut, on le sait, la présence, l’attention et l’amour d’une mère - ou de son substitut - pour que le petit garçon trouve plus tard la force de révéler le mâle potentiel qui est en lui. Pourquoi ? Sans doute parce que c’est la mère qui initie l’enfant à la présence de cet autre, cet étrange étranger qu’est le père - ou les personnes qui en tiennent lieu - présence qui vient déranger, puis détruire la fusion entre la mère et l’enfant. » « Cette initiation, la mère la vivra et la fera vivre en fonction de son histoire présente : ses relations avec le père de l’enfant. Mais aussi en fonction de son histoire passée : ses relations avec son propre père. C’est bien avant la naissance qu’elle initie inconsciemment chez son enfant les processus de reconnaissance du père. «
- « Pourquoi se faire gros, sinon pour se protéger des sentiments meurtriers que ceux qu’on aime vous portent ou vous ont portés, et qui demeurent toujours agissants ? »
- « L’enfant non désirée essaiera toujours de guérir sa mère, de la soigner, de lui faciliter la vie dans l’espoir d’en être un jour aimée…Et elle éprouvera en même temps pour elle une haine mortelle. »
- "C’est la douleur des pères qui agit les filles. Une brûlante obligation les consume : elles sont tenues de réparer leur malheur. »
- « Le culte des morts - c’est-à-dire la reconnaissance de la mort - est le principe grâce auquel la conscience peut naître. »
- « Il n’y a pas de fonction maternelle. Il n’y a que des relations entre une mère et un enfant. La maternité ne se définit que par les divers rôles que lui attribuent le groupe et la société. Au contraire du monde animal où le statut de la mère et les rôles maternels sont limités et fixes, l’humanité modifie en permanence par la culture le statut et les fonctions de la maternité. »
- « On feint toujours de croire que notre civilisation est fondée sur les valeurs du Père, ou même sur des valeurs masculines - à défaut d’être féminines ! Il n’en est rien. Nous vivons toujours sous la domination de la Mère : elle n’a de cesse d’engendrer des petits hommes qui lui sont tout dévoués, de petits machistes ou de grands dictateurs qui ne se sont jamais séparés d’elle, des ingénieurs obéissants et des techniciens aveugles acharnés à voir de son corps innombrable. »
- « Le totalitarisme comme le dogmatisme sont les fruits de sociétés dominées par le principe maternel. C’est la relativité qui est l’attribut du Père. »
- « La Vierge Marie est l’un des plus importants symboles de la mère. Les fonctions qu’elle assure dans la mythologie catholique en font l’archétype du rôle et du pouvoir de la mère dans notre société. Symbole toujours bleu ciel de la mère dévouée et de la fille obéissante, elle n’est en aucune façon celui de la femme. Marie veille toujours à ce qu’aucune femme, justement, ne vienne rompre les délicieuses liaisons entre la mère et le fils et les non moins incestueuses amours entre la fille et son père, sur lesquelles se fonde la famille. C’est par elle que l’homme peut accéder à Jésus-Christ, son Fils. »
NB : la religion de la Mère et du Fils, je vous l’avais dit…
- « On a justement fait remarquer que la figure du père était quasi absente de la religion catholique…Mais c’est oublier les prêtres ! Ce sont eux qui vont jouer le rôle de pères - et on les a longtemps nommés ainsi!"
- « La mère sacrifie son fils à son Dieu - c’est-à-dire son père - pour racheter les péchés du monde - c’est-à-dire pour guérir les blessures du père. »
- « Les mères mettent au monde des enfants qui ne sont pas seulement destinés à poursuivre ou à prolonger l’oeuvre du père. Ils doivent également réparer et guérir le père de la mère. »
- « Ce mécanisme qui oblige l’enfant à la réparation est un puissant facteur de développement économique. Il contraint au perfectionnement. Les mères deviennent alors à leur insu des agents de progrès, des facteurs de changement."
- « Dans l’esprit du père, le fils n’est qu’une ombre, un exécutant, un reflet ; il n’existe réellement que dans la mesure où le père peut se reconnaître et s’aveugler en lui. A ce moment, à ce moment-là seulement, on peut dire que le père aime le fils. Il aime en lui ce qui le prolonge et il peut enfin, grâce à cet enfant, s’attendrir un peu sur lui-même et sur l’enfant qu’il a été. »
- « Mais où a-t-on vu, ailleurs que dans les livres, les pères tendre les bras à leurs fils pour l’accueillir au sortir du giron maternel ? Où a -t-on vu les fils et les pères s’entendre et se parler ? »
- « Les fils voudraient bien que leur père leur parle…mais ils ne tolèrent pas une parole dont ils ont à juste titre le sentiment qu’elle les asservit. Et les pères voudraient bien que les fils leur parlent…mais ils ne supportent pas une contradiction qui les tue ! »
- « Car où est-il, ce père idéal, ce bon pasteur qui aimerait ses enfants comme le berger son troupeau ? Quelqu’un l’a-t-il jamais rencontré cet homme que nous aurions perdu et après qui pleurent les nostalgiques de la paternité manquante, ce père nourricier, proche, affectueux, aidant, initiateur - et pour tout dire parfaitement maternel ?
La vérité est qu’il n’existe pas. Il n’a jamais existé. Il n’est qu’absence et espoir - semblable en cela à Dieu qui lui ressemble ! Il n’a pas de passé, et nous ne savons même pas s’il a un avenir. On prétend qu’il y aurait actuellement une crise de la paternité…Mais la paternité n’a jamais cessé d’être en crise depuis la création du monde ; c’est la fonction sociale qui définit la paternité.
Dépouillé l’habit, que reste-t-il du père, sinon le Nom ? Absent, manquant, manqué, le père ! Et il nous manque pourtant comme si nous étions son ombre. »
- « Entreprendre une quête, c’est pouvoir un jour en faire le deuil - ce à quoi servent toutes les quêtes. »
- « Dans l’histoire de la famille FALCK qui est ici rapportée, on a pu entrevoir le difficile et douloureux travail de séparation d’avec le ventre originel en qui tout pouvoir est déposé. Ce travail que la renaissance, la Réforme, le mouvement des Lumières ont lentement engagé, il se poursuit en effet tragiquement tout au long du XX° siècle.
Mais cette séparation, ce renoncement au corps de la mère, a un coût, et il est même exorbitant : c’est la colère, la violence et leurs prolongements pervers, la haine et la destruction. Ces passages à travers le carnage et la folie, ces déferlements de morts et ces effondrements, sans doute étaient-ils obligatoires. L’Histoire ne fait pas d’impasse. »
C’est ce qui s’appelle mettre les pieds dans le plat. A vous de voir si toute cette analyse est toujours d’actualité, et surtout vous concerne-t-elle ?
4 - « GRAND-PERE DECEDE - STOP - VIENS EN UNIFORME » (P.U.F, 2001)
En entretenant de reconstituer l’histoire de sa famille, Michel VINGTRAS se lance comme un détective dans une aventure aux multiples péripéties. Il découvre la véritable machine infernale qui s’est déclenchée plus d’un siècle plus tôt et dont les effets agissent toujours dans la vie des descendants.
Le télégramme « Grand-père décédé - Stop - Viens en uniforme » qui donne à ce récit son titre, illustre l’obligation où se trouve l’enfant de renoncer à ses propres désirs pour se conformer à ceux de la famille. Et l’on verra ce qu’il en coûte de rompre les sortilèges de la transmission généalogique. »
C’est au tour de l’auteur de dévoiler les dessous l’histoire de sa famille auvergnate (Haute Loire), en particulier les vies de son grand-père Alexandre qu’il n’a pas connu, comme son arrière-grand-père (*), et son père Camille, par le truchement des péripéties des VINGTRAS sur trois générations. Le fils Michel (l’auteur) mène l’enquête en bout de chaîne, quand tout est consommé. Il s’agit alors de peser la logique du passé.
L’objet est de comprendre « comment les événements psychiques s’organisent en chacun de nous, et à voir quel rigoureux déterminisme nous pousse à accomplir l’implacable et féroce volonté de nos ancêtres. » En particulier les descendants, « qui accomplissent, la plupart du temps à leur insu, les plus profonds désirs parentaux. »
Fin 19° siècle, Antoine VINGTRAS, vigneron, le personnel central (*) de cette histoire basée sur un chagrin d’amour - et ses funestes conséquences transgénérationnelles - s’unit avec Marie RIGAUD qui donne un fils Vital. Moins de quatre ans après elle décède de tuberculose. « Il lui manquera toujours cette mère qui n’a pas voulu vivre pour lui. »
Antoine se remarie avec Jeanne BAISSAT, et six ans plus tard Alexandre naît.
« Jeanne avait à prendre la place de la morte, ce qui était, on le conçoit, une tâche impossible. Et en cela devait résider l’humble et constant malheur de sa vie : son mari ne la regardait pas, il regardait toujours la morte. (…)
Et de même qu’Antoine misera tout sur son fils Vital, Jeanne misera tout sur son fils Alexandre en le chargeant de réparer le malheur de sa vie. » Les deux demi-frères ont dix ans d’écart.
« Tout est maintenant en place. Antoine, Jeanne, Vital et Alexandre. Quatre personnages aux prises avec le fantôme de Marie. (…)
Alexandre brillera par le savoir, les connaissances, la réussite scolaire. Et il accomplira en même temps le plus profond et secret désir de sa mère : il l’a vengera de l’obscurité où elle est comme lui tenue. »
(St-Denis-du-Sig, Algérie - Wikipédia)
En 1882 toute la famille part vivre en Algérie, sous l’impulsion de Vital entraînant son père, et devenant propriétaires d’une exploitation plus grande. Elle est au nom de l’aîné qui assume tous les emprunts et aussi l'hypothèque de son père. De fait, Alexandre est exclus de ce montage.
Cette terre s’avère difficile et l’aventure connait un premier coup dans la catastrophe de la sécheresse. Anéanti par son erreur et la malchance, Vital se suicide en 1883.
Puis le malheur s’acharne par l’inondation catastrophique en 1884. Antoine décède en 1885. Il rejoint les autres morts, sa seule bien-aimée Marie et Vital. Jeanne VINGTRAS rentre en France.
Alexandre, lui, en 1890, avec une terrible dette d’amour. « Il ne pourra jamais obtenir l’amour de ce père. Et pourtant il ne peut renoncer à ce désir qui fonde sa vie et il se condamne à devoir indéfiniment mériter cet amour dont il a été injustement privé (…). Il serait obligé de chercher toute sa vie, désespérément, le regard et l’amour d’un mort. Il ne pouvait encore comprendre que les fils portent en eux, jusqu’à en mourir ou en devenir fou, la mort ou la folie des pères. Lui aussi, bien plus tard, à son tour, il se laissera mourir.
Il est condamné à un absolu de perfection pour effacer sa honte : avoir été indigne de l’amour de son père puisque celui-ci est mort sans parvenir à l’aimer. » De plus, il rachète les dettes de son père, héritier de celles de son aîné.
Alexandre se marie avec Joséphine BROQUIN en 1893. Ils ont deux enfants : Camille et Germaine. Il devient notaire en 1910. Mais cette réussite sociale annonce la mort.
(Wikipédia)
Le programme psychique du couple est simple : « agir toujours de façon à obtenir ou à conserver l’amour de ses parents. Leur culpabilité garantit leur obéissance, et leurs névroses respectives sont parfaitement conformes aux normes en vigueur. »
Leur mission est commune, la revanche du passé, sur le malheur généalogique de leur famille respective par l’ascension sociale rédemptrice. « Ils avaient tous un même tribut à payer aux morts jusqu’à ce que mort s’ensuive. » Curieusement, Joséphine, à son mariage, change son prénom et devient Marie, comme la morte du passé de sa belle-famille.
Ainsi va l’histoire de « ces familles bien catholiques et bien-pensantes qui dissimulent soigneusement la vérité de leur vie mais finissent toujours par en faire mourir leurs enfants. »
Bien entendu, leurs enfants, Camille et Germaine, héritent de cette trajectoire trop lourde de missions implicites, entre une mère qui ne les a pas assez aimés, et un père qui même s’il n’est pas Alexandre le Grand, est placé en uniforme sur un piédestal, et ne peut pas être remis en cause.
« Son fils Camille ne pourra jamais contester une autorité si juste et si terrible et il en perdra la raison, obligé de tourner contre les autres sa colère. »
« Sa fille Germaine ne le verra jamais que comme un dieu éblouissant et elle en perdra la vie, aveuglée, obligée de retourner contre elle sa propre colère (…) pour se venger des renoncements effroyables que doit vivre une petite fille avant de devenir une personne parfaitement conforme aux usages. »
Elle tomba tuberculeuse (pulmonaire), comme l’ancêtre Marie VINGTRAS, elle cristallisa l’attention de son entourage, tout en se vengeant de sa mère, obstacle entre elle et son père, et son agonie dura 20 ans. Elle se rapprocha d’Alexandre dans des noces symboliques incestueuses et morbides. « Ainsi tout est en ordre. Tout est payé. Elle a son père pour elle toute seule. Et elle en meurt. »
« Mourir pour être aimée », à 35 ans (1920). Alexandre, « avait trouvé dans cette infirme qui était sa fille la femme qu’il aimait et qu’il pouvait aimer sans avoir peur. Elle devait être le seul véritable amour de sa vie », lui permettant de découvrir sa part féminine. Joséphine devint de fait son amie.
D’autre part, les grands-parents BROQUIN possèdent le domaine familial avec château du Châtelet, où toute la famille se réunit. Mais elle est lourde de tous les fantômes du passé de toutes les branches. « Ils entendent sans cesse les injonctions et les prières, les chantages et les supplications de tous ceux qui veulent continuer à vivre en eux. »
Cette classe sociale de l’entre-deux-guerres est soumise à la loi de la « piété - pitié - péché. » Le sexe représente l’immense non-dit, dans l’attente de l’exutoire de la guerre où enfin la colère pourra s’accomplir dans la violence collective. « Une oeuvre de salubrité publique. »
A la mort du grand-père BROQUIN (1927), Camille vint certes en uniforme à la demande de sa mère (cf. télégramme du titre Grand-père décédé - Stop - Viens en uniforme), pour mieux le jeter aux orties ensuite. Une défrocation salutaire et libératrice à venir de ses propres sortilèges.
Nommé Inspecteur des Eaux et Forêts, proche de celle de Brocéliande dont il écrivit un roman en toile de fond. Comme s’il avait cherché dans le passé de la Forêt légendaire une vérité dissimulée, et à travers la Geste arthurienne et la Quête du Graal, « la clé d’une énigme bien plus proche et fondamentale : celle de sa propre vie, de son rôle et de sa place dans l’arbre généalogique des VINGTRAS. »
Il fut instable et contestataire, n’assumera pas ses responsabilités, sans payer ses impôts, fuyant l’ordre, rebelle la loi du père, et en lutte sournoise contre le sien. « Mais faire enfin la peau à son père, à cet être malfaisant, à cet Alexandre le Grand, qui n’avait jamais cessé de lui nuire en lui faisant croire qu’il lui voulait du bien. »
Il préféra le monde de l’art à sa profession. A la veille de la guerre, diagnostiqué souffrant de psychose paranoïde, il se verra débarquer en retraite anticipée, en 1938 à 44 ans. Il tourna casaque en devenant artiste peintre et animateur de ce milieu.
Marié à Christine, après sa mort, son fils Michel né en 1936 mena l’enquête sur son destin, pour mieux le comprendre et se rapprocher de sa mémoire.
La conclusion est belle, c’est-à-dire émouvante, dans l’océan des turpitudes de cette trame familiale à rebondissements, lourde de déchirures, de coutures et de rapiéçages :
« Un sourire lui venait, au terme de cette quête. De la tendresse, une infinie tendresse pour cet enfant, son père, qu’il lui semblait en cet instant avoir lui-même mis au monde. Un amour semblable à celui du père pour le fils, mais qui allait ici du fils vers le père, un père qu’il pouvait aimer davantage, à cause de sa trop humaine folie. »
ET PUIS...
Nous nous sommes permis de citer abondamment l’auteur, trop peu connu ; qu’il soit béni et son © sanctifié. Nous avons trop peu d’oeuvres nous enseignant la véritable pierre d’angle, l’Intime I majuscule plus intime que notre pauvre feuille de vigne, la face cachée et dictatoriale de nos existences. La condition humaine est ramenée à son plus juste niveau, l’étiage, juste avant de ne pas couler.
Cette bouée littéraire nous aide à y voir clair dans l’océan de confusion où nous maintient le non-dit dévastateur des familles et des divers systèmes de la société. A nous de nous poser alors les bonnes questions, et de faire le travail de prise de conscience. A défaut de régler notre problématique, nous pouvons au moins apprendre à la gérer.
Et croyez-moi, le reste n’est que foutaises : les pseudo-normes, l’ordre moral, le politiquement correct, les enseignements dits spirituels proches certes de l’essence, mais bien loins de l’essentiel, l'incarnation, etc.
En conclusion, quant à Brocéliande, encore et toujours me direz-vous, il se confirme que ce Lieu légendaire est un miroir de l’inconscient par sa puissance symbolique, et permet d’envisager, voire de desserrer un tant soit peu les noeuds gordiens du destin. Ainsi, cette Forêt ne peut disparaître, ni en vrai, ni sur le papier. Notre fidélité en témoigne.
Merci François VIGOUROUX. La Quête continue, sacré Graal…mais lequel ?
Sauve qui peut, la vie !
Eric LE NOUVEL
+ A noter la contribution d'Emilie Brouze - LE NOUVEL OBS' avec Rue 89 :
Dans "Ne le dis à personne", une rubrique consacrée aux secrets, des lecteurs nous font cadeau du leur. Ce sont des histoires d'arbres généalogiques fallacieux, d'amour contrarié, de tabous familiaux ou de liens dévoilés par l'étude des gènes. Ce sont des histoires qui révèlent des choses sur nous, nos tabous, nos relations sociales et familiales.
- Le secret d'Armelle : "En fait, ta mère a eu un enfant avant toi"
- Le secret d'Héloïse : "Mon cerveau a gommé Sophie, pas mon inconscient"
- Le secret de Diane : "Les résistants, ils ne parlaient pas"
- Le secret de Stéphanie : "Il n'y a pas de doute. Vous n'avez pas le même père"
Etc.
+ Et enfin un site professionnel GENEASENS : De la généalogie à la psychogénéalogie, explorez le sens caché de votre héritage familial...